Encore tout retourné par la nouvelle qu'il venait d'apprendre, Bertrand se fit répéter plusieurs fois le message que le capitaine Aetius lui avait fait porter.

   - Aetius est-il certain de ce qu'il avance ? Quand cela s'est-il produit et qui en est le responsable ?!

   Le soldat Albéric à qui la question était posée répondit d'un air assuré :

   - Tout-à-fait certain, capitaine. On a retrouvé le corps gisant dans une ruelle au petit matin il y a de cela une semaine. Les responsables n'ont pas été identifiés, il semblerait qu'il ait été tué par des détrousseurs de bourse à la sortie d'un lupanar dans le bas-quartier de Sirgonia.

   - As-tu des nouvelles de damoiselle Blanche, demanda Bertrand inquiet ?!

   - Oui, le capitaine Aetius l'a aussitôt fait rentrer au palais du gouverneur en prétextant je ne sais quelle fugue. Toujours est-il, que Theodorus, fou-furieux a vertement sermonné sa fille et l'a immédiatement fait enfermer, en jurant qu'elle n'en sortirait pas, dans le temple de la déesse Aziza sous la surveillance de la Grande Prêtresse. Voici d'ailleurs un message que damoiselle Blanche a écrit en me demandant de vous le remettre en mains propres.

   Se saisissant de la missive, Bertrand l'ouvrit maladroitement et lut rapidement :

 

                              Mon ami,

                    Si vous avez, comme je le pense, quelque amour pour moi, je vous en prie venez à
                    mon secours.

                    Suite à ma fugue à l'auberge de l'Auroch, mon père m'a fait enfermer au temple d'                 
                    Aziza et compte me faire intégrer la suite des prêtresses de la déesse. Plutôt mourir
                    que vivre cette vie loin de vous.

                    Vous êtes la seule personne sur laquelle je puisse réellement compter pour me sortir
                    de cet endroit et m'emmener avec vous.

                    Votre Blanche qui vous aime.  

 

   Un peu plus tard, le jeune homme demandait une entrevue au général Eudes et lui expliquait la situation.

   - Maintenant que le général Horace n'est plus, disait Bertrand, vous êtes de fait le seul haut-gradé à pouvoir prendre le commandement suprême des armées de l'Alliance du Nord !

   Le général regarda le jeune homme, lui répondant d'une manière peu affable :

   - Tu crois sans doute que cela va se passer ainsi ? Je pense que nous allons plutôt être accusés de complot par les autorités de Sirgonia ! Theodorus n'est pas un idiot, il va sans doute penser qu'Ixos a volontairement fait disparaître le général Horace afin que je sois moi-même nommé général en chef. A ce sujet il me viens un doute sur ta participation ou non dans cette affaire. Si j'apprends que tu es impliqué de près ou de loin à cet assassinat, tu seras exclu de ton poste de commandement au sein de l'Alliance et je resterai ferme sur ce point.

   Quelque peu décontenancé par les arguments du général, Bertrand répondit :

   - Je vous assure général, que je n'ai absolument rien à voir avec la mort du général Horace. Cela ne peut-être dû qu'à des affaires internes résultant de profondes divergences au sein du gouvernement de Sirgonia ! A ce propos, je suis très inquiet en ce qui concerne l'avenir de la jeune Blanche et vous demande de bien vouloir me donner la permission de me rendre de nouveau à Sirgonia afin de me rassurer sur son état et...

   Coupant court à la demande du jeune homme, Eudes s'exclama :

   - Tu me prends pour un idiot, sans doute ? J'ai eu vent que tu t'es amouraché de cette damoiselle et si je te laisse partir là-bas en cet instant, je ne sais quelle folie tu pourrais encore commettre et rendre ainsi plus précaires les relations, déjà tendues, que nous entretenons avec Sirgonia !

   - Mais, général...

   - Il suffit ! Je t'interdis de quitter Ixos pour te rendre à Sirgonia. Tu as un travail important à accomplir ici et maintenant, cet entretien est clos. Retourne à ton poste !

   Encore tout ébranlé par les dernières paroles du général, Bertrand, après un rapide salut à son supérieur, quitta l'appartement de celui-ci et s'en alla trouver Manon. Les larmes aux yeux, il lui expliqua les derniers événements s'étant passés à Sirgonia et sa volonté de rejoindre la grande ville de l'Ouest afin de retrouver Blanche et pouvoir la sortir du temple d'Aziza où elle était quasiment retenue en tant que prisonnière. Voyant la souffrance de son fils, Manon lui répondit :

   - Tu n'as vu cette fille qu'une seule fois ! Es-tu déjà certain de l'aimer comme si vous vous connaissiez depuis bien plus longtemps ?! Es-tu prêt à agir de façon intempestive en risquant de mettre à mal une alliance déjà fragile ? Comment va réagir le gouverneur de Sirgonia si tu enlèves sa fille du temple où il l'a lui-même enfermée ? Tu es un homme maintenant, tu fais ce que tu veux et je n'ai plus rien à t'ordonner sinon te donner des conseils de mère. Mais avant que tu ne prennes la route de Sirgonia, puisque je sais que rien ne t'en feras démordre, je voudrais que tu te rendes dans la tribu des Sedes-odaï, et j'en parlerai au général Eudes, car ta soeur Roswyn a besoin de toi. Ellawen m'a rapporté qu'elle se conduit de façon inquiétante, ignorant complètement la quête que lui confia la déesse Ellen. Elwyn et elle-même semblent avoir oublié leurs responsabilités, et ta soeur se contente de vivre une vie qui me paraît être incompatible avec le titre de future reine de Meruvia. Tu dois lui faire comprendre qu'elle doit reprendre les quêtes qui lui ont été confiées par Ellen, il ne faudrait pas que les tribus elfes du Nord se mettent à contester le statut d' ''Elue'' qui lui a été conféré par la déesse. 

   A ces mots, Bertrand se jeta dans les bras de sa mère et l'embrassa en lui disant :

   - Oh, mère chérie, je sais que vous vous inquiétez toujours pour Roswyn et pour moi-même et que seul le bonheur de tous vos enfants vous importe. Je ferai bien volontiers ce que vous me demandez et me rendrai donc dans le village des Sedes-odaï avant de partir pour Sirgonia. Je dois cependant vous dire que je suis certain que l'Elfe dont s'est amourachée ma soeur a sur elle, une influence néfaste et je voudrais qu'elle puisse s'en libérer sinon jamais elle ne reprendra ses esprits ni n'arrivera à réaliser tout ce que pour quoi la Prophétie a été écrite.

   - Je t'en prie, répondit Manon, évite néanmoins tout conflit avec Elwyn. Ta soeur a besoin d'aide pour tous ses déplacements en Meruvia et en dehors du royaume. Les deux quêtes qui lui restent seront les plus difficiles à accomplir, les pays des Gobelins et des Orcs sont, pour un humain, les plus dangereux à parcourir et ta soeur ne peut pas le faire seule. N'oublie pas qu'Elwyn l'a, jusqu'ici et à plusieurs reprises, protégée de bien des dangers. Ce qui compte dans l'immédiat, c'est que Roswyn puisse avoir quelqu'un sur qui compter lors de tous ses voyages.

 

*   *   *

 

   Pendant ce temps, à Sirgonia, le gouverneur Theodorus avait convoqué une réunion extraordinaire de son conseil. Le capitaine Aetius, le conseiller Rupert, dame Irène ainsi que l'archimage Philéas avaient été mandés de toute urgence pour discuter d'une situation préoccupante.


   Théodorus entra le dernier dans la salle. Il semblait énervé et présenta les faits d'une manière brutale.

   - J'avais promis ma fille Blanche en mariage au général Horace en échange de sa participation à l'Alliance du Nord. Ma fille a osé me désobéir et a refusé d'épouser le général. Elle me l'a fait comprendre en fuyant le palais et a refusé de me dire où elle était allée pendant tout ce temps. C'est pourquoi elle passera le reste de son existence dans le temple d'Aziza parmi les Vierges consacrées à la déesse. Je suis cependant perplexe car je me doute que Blanche a dû recevoir une aide quelconque pour ainsi disparaître sans que je ne puisse découvrir où elle se cachait. Je ne sais pas qui sont ceux qui ont pu l'aider dans cette fugue mais je ferai des recherches et punirai les coupables si je les retrouve ! En outre, le général Horace a été assassiné, comme si on avait voulu être certain que ma fille ne l'épouse pas !

   Se tournant vers dame Irène, le gouverneur lui dit :

   - Il me souvient ma tante, que mon épouse Liliane ainsi que vous-même, étiez fermement opposées à ce mariage... Qu'avez-vous à répondre à ce sujet ?!

   Sans se laisser démonter par la question, la tante du gouverneur lui répondit fermement :

   - Pourquoi voudriez-vous que je change d'avis actuellement ? Parce que le général est mort ?! Non, pas du tout et je reste convaincue qu'avoir voulu un tel mariage était une folie. Sachez cependant que je ne suis pour rien dans la mort d'Horace ni dans la fuite de Blanche, il vous faudra chercher ailleurs !

   - Pour ce qui est de l'assassinat du général, peut-être, répondit Theodorus, j'en suis cependant moins sûr en ce qui concerne la fugue de ma fille.

   - Croyez ce que vous voulez mon neveu, répliqua dame Irène tout irritée, et de grâce, n'ajoutez pas à la douleur de votre épouse Liliane de voir sa fille cloîtrée au temple d'Aziza,  les tortures morales que vous lui faites subir en la harcelant de questions !

   - Je vous prierai de ne point vous occuper de mon épouse, rétorqua le gouverneur. Ceci est un problème tout-à-fait privé qui ne vous regarde pas !

   Voyant que la conversation s'engageait sur une voie dangereuse pour dame Irène, le capitaine Aetius vint à son aide en s'adressant au gouverneur en ces termes :

   - Voyons Excellence, votre tante n'est quand-même pas imprudente au point de préparer des actions contraires aux intérêts du palais, convenez-en. Ne vous a-t-on pas rapporté que le général Horace avait été tué par des voleurs et qui plus est, au sortir d'un lupanar de la ville basse. Etait-ce à cet homme que vous vouliez marier votre fille ?

   Théodorus foudroya Aetius du regard.

   - Puisque tu me parles de voleurs, je te dirai que je ne crois pas en cette histoire. D'autre part, tu sais que j'avais pressenti que Horace deviendrait le général en chef de l'Alliance du Nord. Réfléchis un peu... A qui profite le crime ? Au général Eudes d'Ixos, bien sûr, mais sache que cela ne restera pas impuni !

   Se caressant la barbe comme à l'accoutumée, le conseiller Rupert demanda alors avec un petit sourire moqueur :

   - Et que comptez-vous donc faire, mon cousin, attaquer Ixos et réduire à néant des mois de tractations entre nos deux villes pour créer une alliance qui devrait nous débarrasser du duc de Roncenoir ? Es-ce cela que vous envisagez ?!  

   Quelque peu décontenancé par cette question, le gouverneur balbutia :

   - Je...Heu...Non, bien sûr, il n'est pas question d'attaquer Ixos ! Mais néanmoins j'informerai le gouverneur Clodomir de notre désapprobation devant le trop grand intérêt que montre sa ville à s'occuper des affaires de Sirgonia !

   Et Aetius aussitôt d'ajouter :

   - Voyons Excellence, je me suis entretenu avec les principaux lieutenants du général Horace. Ceux-ci n'ont fait aucune objection à passer directement sous mon commandement avec tous leurs hommes. N'était-ce pas finalement ce que nous désirions du général lui-même ?

   - Et bien soit, répondit Theodorus, et puisque nous n'avons plus d'autre alternative à ce que le général Eudes d'Ixos prenne le commandement général, il sera donc ton supérieur !

   - Donc, ajouta le conseiller Rupert, en s'adressant au gouverneur, contrairement à ton idée première, tu permettrais maintenant qu'Ixos soit à la tête de l'Alliance ?!

   - Je ne vois pas en quoi cela te regarde, cousin ? Le général Horace est mort et ce n'est pas ma faute... Je n'ai donc plus personne d'autre à opposer à Eudes !

   L'archimage Philéas prit alors la parole :

   - Il serait bon qu'un peu de sérénité revienne au sein de cette assemblée car comme nous tous ici le savons, les buts de Sirgonia et d'Ixos sont semblables. Tous, nous désirons la libération de Meruvia d'entre les mains du faux-roi et nous devrions je pense, ne garder que ce fait à l'esprit et uniquement cela.

   - Je suis d'accord avec toi Philéas, rétorqua dame Irène. Si mon neveu avait la même justesse d'esprit, tout le monde ici en serait fort aise !

   A ces paroles, un silence de plomb s'abattit un moment dans la salle. Finalement, Theodorus répondit sans s'énerver :

   - Ma chère tante, je vous préviens amicalement. Poursuivez dans cette voie et je vous ferai enfermer au donjon pour rébellion et complot contre le gouverneur. Maintenant, cette réunion est terminée, vous pouvez donc tous vaquer à vos occupations habituelles.

   Puis, se tournant vers le capitaine, il lui dit :

   - Pas toi, Aetius, j'ai à te parler, reste !

   Dès que tous furent sortis, le gouverneur prit le capitaine par le bras et, tout en faisant quelques pas avec lui, il dit :

   - Bien que tu ne sois pas général, te voici néanmoins à la tête de l'armée de Sirgonia. Je vais voir à te faire nommer à ce grade le plus rapidement possible. En contrepartie je te demanderai une fidélité sans faille et je veux que dès à présent tu enquêtes sur tous les faits et gestes de ma tante Irène. Je suis certain qu'elle est responsable de la fugue de ma fille Blanche. A ce sujet je te demanderai de faire poster des archers autour du temple d'Aziza. Que tout intrus qui essayerait de pénétrer dans l'endroit soit abattu sur le champ.

   Un instant plus tard, le capitaine, quelque peu embarrassé, prenait congé du gouverneur.

   - Voilà qui ne fait pas réellement mon affaire, se dit-il. Si Theodorus apprenait que dame Irène et moi-même sommes les responsables de la mort du général Horace et de la fugue de la jeune Blanche, il nous ferait certainement enfermer dans le donjon ou pire, pendre sur la place publique ! De plus, j'ai fait porter un message au frère de Roswyn pour le mettre au fait que la fille du gouverneur était enfermée dans le temple d'Aziza. Connaissant ce dernier, il est capable de tout pour essayer d'en sortir sa dulcinée... Tout cela me met dans une position délicate !

 

*   *   *

 

   Un soir, un cavalier entrait à bride abattue dans le village blanpeau des Sedes-odaï. Le jeune homme qui dirigeait sa monture d'une main ferme, se dirigea vers un endroit qu'il semblait bien connaître et, rapidement, mit pied-à-terre devant la porte d'une demeure d'apparence aisée. Aussitôt, sortant de l'habitation, une Elfe d'âge moyen se dirigea vers le nouvel arrivant et s'écria :

   - Ah, je vois que ta mère n'a pas hésité à t'envoyer ici, qu'elle soit remerciée !

   - Ellawen ! Je suis toujours heureux de te revoir... Quelles sont les nouvelles ?!

   - Conduis ton cheval à l'écurie et entre vite Bertrand, tu vas avoir une surprise !

   Quelques instants plus tard, le jeune homme rejoignait la demeure de la prêtresse. Une fois à l'intérieur et aperçevant un vieil Elfe qui lui souriait en lui tendant les bras, il s'écria :

   - Aethelwyn ?! Par Nélos... Mais comment se fait-il... Où donc étais-tu passé ?! 

   Pendant un long moment, l'Elfe expliqua au fils de Manon toutes les péripéties qu'il avait vécues depuis son départ vers la Tour Blanche jusqu'à son évasion du palais de Cinaxa, en cela aidé par la jeune Eleonor, fille du gouverneur de l'île de Phaéton.

   - Il ne me reste plus qu'à récupérer mon plan, ajouta le druide. Si tu veux bien t'en charger pour moi, je demanderai à la fille de Gildric de te conduire à l'endroit où je l'ai caché. Elle s'est prise d'amitié pour moi et je sais qu'elle ne refusera pas de nous aider. Aux dernières nouvelles elle se trouvait à Ethyria chez le duc de Roncenoir afin de régler une affaire commerciale mais j'ignore si elle est rentrée à Cinaxa actuellement.

   Bertrand promit de s'occuper de cette affaire un peu plus tard car avant tout il pensait à Blanche. Mais bientôt, ne voyant ni Roswyn ni Elwyn dans la demeure, il s'inquiéta et demanda de leurs nouvelles à Aethelwyn.

   - A mon retour j'ai été mis au courant de la situation par ma soeur ici présente, répondit l'Elfe. Ellawen et moi avons beaucoup prié la déesse, et en un sens, avons été entendus. Ellen a exigé que les deux jeunes gens fassent un pèlerinage à Ismen-nethor pour méditer par devant sa statue. Des prières sincères leur accorderont le pardon de la déesse et elle les confortera dans la volonté de reprendre les quêtes inachevées. Ils ont pris la direction du temple vers l'Est hier matin et c'est pourquoi tu ne les trouves pas ici ce soir.

   Un instant songeur, Bertrand dit alors :

   - Ma mère et moi-même nous posons néanmoins certaines questions quant à l'amour qu'ils semblent actuellement partager car Roswyn est appelée à régner sur Meruvia et...

   - Ne t'inquiètes pas pour cela, répondit Ellawen. Si la déesse a décidé que ces jeunes gens étaient faits l'un pour l'autre alors rien ni personne ne pourra les séparer. Dans le cas contraire, cet amour s'évaporera sans qu'ils ne s'en rendent compte eux-mêmes mais d'ici là, ni toi ni nous ne pourrons rien y faire ni d'ailleurs nous en mêler !

   Le fils de Manon ne répondit rien mais dans son fort intérieur, il pensait :

   Ne pas nous en mêler ?! C'est à voir... S'il prenait à ma soeur l'idée folle de vouloir épouser cet Elfe et l'emmener avec elle sur le trône d'Ethyria, je serais obligé de régler moi-même ce problème ! 

 

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