Elisabeth était sortie en ville, accompagnée d'Aldebert, l'ex-bailli d'Ilos. Depuis un certain temps déjà, tout le monde avait constaté qu'il existait, entre ces deux personnages, bien plus qu'une simple amitié. Il était d'ailleurs question d'un mariage en vue mais les temps troublés que vivait actuellement l'Alliance du Nord ainsi que la recherche de nouvelles alliances ne laissait guère le temps à Aldebert de penser au mariage pour l'instant. Toujours est-il qu'il avait fait l'acquisition, dans le centre d'Ixos, d'une magnifique demeure où, Elisabeth et lui coulaient des jours heureux.

   De retour de Sirgonia, Roswyn et son frère Bertrand trouvèrent le médecin personnel du gouverneur au chevet de Manon. La pauvre femme, sans aucune énergie, restait prostrée tout au long de ses journées et ne désirait plus avoir de contact avec l'extérieur. Ses enfants disparus lui manquaient plus que jamais et cela affectait dangereusement sa santé faiblissante. Bien souvent, ignorant les paroles qui lui étaient adressées, la figure livide, elle regardait son interlocuteur d'un regard vide. Aucune larme ne coulait de ses yeux mais on pouvait voir qu'une grande souffrance était imprégnée sur son visage.

   Dans son esprit torturé, elle voyait tous ses enfants réunis, chantant et dansant tout autour d'elle. Bertrand, Cédric, Aliénor, Lothaire, Gwendolyn, et sans oublier Roswyn, qui venait compléter un tableau charmant mais combien irréel. Tous ses enfants se suivaient d'une année, Roswyn étant de l'âge d'Aliénor. Bien souvent elle avait une pensée spéciale pour la benjamine, sa petite Gwendolyn, qui avait atteint l'âge de seize ans maintenant, et qui devait énormément souffrir de l'absence de sa mère. 

   Roswn avait décidé de rester auprès de Manon afin de la soigner, elle irait rejoindre Elwyn plus tard, il comprendrait. De temps à autre, elle se souvenait de ce long baiser échangé avec le bel Aetius mais se sentant encore coupable, elle chassait très vite cette image et pensait à Elwyn. 

   Une semaine après le retour de Roswyn et Bertrand, le général Eudes était venu leur rendre visite dans leurs appartements au palais du gouverneur Clodomir. Il semblait las et n'avait apparemment pas de nouvelles rassurantes à apporter.

   - Tous les espions que j'ai envoyés dans les villes et bourgs de Meruvia sont formels. Ils n'ont jusqu'à présent trouvés aucune trace de vos frères et soeurs disparus mais ils continuent à chercher, il ne faut pas se résigner. S'il reste ne fusse qu'une chance de les retrouver vivants, nous la saisirons et vous les ramènerons ici auprès de vous.

   - Et qu'en est-il du château de Roncenoir, demanda alors Bertrand ?

   - J'avais envoyé mon meilleur agent au château du duc, répondit Eudes, mais il est revenu tout aussi bredouille que les autres, m'assurant qu'il était impossible que les enfants fussent au château !

   Voyant l'état de tristesse affichée par Roswyn, Bertrand prit le général par le bras et sortit dans la cour pour faire quelques pas avec lui.

   - Mais nous ne les retrouverons donc jamais ? Ma pauvre mère risque d'en mourir !

   - Ne dis pas cela, répondit Eudes, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les localiser. Je vais doubler tous les effectifs de recherche et nous finirons bien par avoir l'un ou l'autre résultat !

   - Que Nélos vous entende, général !

   Bertrand et le général se quittèrent. Le fils de Manon rentra pour essayer à nouveau de consoler sa mère mais celle-ci était tellement découragée qu'elle voyait déjà ses quatre enfants morts, quelque part baignant dans leur sang. Le médecin du gouverneur dû donner quelques calmants à Manon et lui prodiguer de nouveaux soins pour tâcher de résorber une forte fièvre. Dans une pièce à côté, Roswyn pleurait à chaudes larmes, Bertrand tâchant de la réconforter du mieux qu'il pouvait.

 

*   *   *

 

   Au Nord-Ouest de Meruvia, s'étendaient de mystérieuses contrées où le soleil ne pénétrait presque jamais et sur lesquelles régnait constamment une semi-obscurité. La brume et la grisaille étaient les visions quotidiennes des habitants de ces régions. Celles-ci étaient mal connues des Meruviens qui les avaient nommées ''Ombrie'' ou ''Pays des Ombres''. Les Ombres était le nom donné aux autochtones de ce pays. C'étaient des êtres non-humains qui ressemblaient plutôt à des fantômes. Ils avaient comme particularité de ne pas avoir de pieds et évoluaient lentement dans l'espace qui les entourait en flottant dans l'air à une hauteur de dix à quinze centimètres du sol, environ. Tous étaient des guerriers redoutables qui combattaient avec des épées, des haches ou des faux et étaient habillés d'une longue cape noire surmontée d'une capuche qui cachait un visage que l'on ne voyait jamais.

   Les quelques Meruviens qui s'étaient hasardés dans ces régions avaient pu remarquer que les armes ordinaires n'avaient aucun effet sur ces êtres fantomatiques mais que seul le feu pouvait en venir à bout. D'autre part, nul n'aurait pu dire de quoi vivaient ces étranges personnages, en effet, ils ne mangeaient ni ne buvaient jamais et ne semblaient avoir aucun besoin connu de tout être humain, ce qui les rendaient encore plus étranges.

   Zylnyel était la reine des Ombres. C'était une puissante sorcière humaine qui vivait dans un château qui avait comme particularité de se déplacer très lentement dans l'espace, parcourant ainsi toute les étendues du pays, tantôt frôlant le Pays des Nains à l'Est, tantôt caressant la frontière Nord du Pays des Gobelins.

   Le pays était parcouru par de nombreuses hautes chaînes de montagnes qui se profilaient du Nord au Sud et d'Est en Ouest, celles-ci formant un élément naturel qui cachait plus ou moins la position du château en un moment donné.

   C'est à partir de son manoir que Zylnyel commandait aux Ombres. Cette sorcière, à ce que l'on pourrait croire, n'était ni vieille ni affreuse. C'était au contraire une très jolie jeune femme aux longs cheveux rouges, pouvant être âgée de vingt-cinq à trente ans et qui avait eu comme maître un certain Arethos. Tout au long de plusieurs années, le sorcier lui avait inculqué tout son savoir démoniaque. Maintenant, l'élève dépassait sans doute le maître car ses pouvoirs étendus dans le domaine de la nécromancie donnaient quelquefois des frissons au frère du défunt Maerwel.

   Il y a quelques années, Zylnyel, que l'on appelait également la Reine Rouge, avait été la maîtresse du duc de Roncenoir, Arethos ayant un jour présenté sa protégée à Norbert. Pendant un temps, celui-ci avait installé la jeune femme dans le château du duché mais cette idylle n'avait que peu duré, Zylnyel préférant sa liberté et, ne voulant rendre de compte à personne, quitta le duc après six mois de vie commune. Elle s'installa dans le Pays des Ombres, là où elle pu régner en maîtresse absolue sur son armée de fantômes.

   Pour l'instant, la jeune femme s'ennuyait. Son château manquait de présence humaine et un soir elle fit venir son mentor et lui demanda de lui présenter quelques personnes de compagnie, sa vie étant devenue trop terne à son goût.

   Acquiesçant au désir de son ancienne élève, Arethos lui envoya une dizaine de Serviteurs de Baal qu'elle chassa rapidement, n'ayant avec eux aucune affinité. Les capes et les cagoules rouge-sang de ceux-ci, bien qu'humains, lui rappelaient bien trop par ailleurs, les fantômes qu'elle côtoyait tous les jours.

   Arethos cherchait par tous les moyens de donner satisfaction à la reine des Ombres et un jour, une idée germa dans son esprit. Au château de Roncenoir se trouvaient quelques prisonniers avec lesquels il n'avait pu réaliser ses ambitions de les former au service du dieu Baal. Sachant l'intérêt particulier que Norbert de Roncenoir portait à ces détenus, le sorcier avait dû demander la permission au duc de les envoyer en Ombrie, où ils seraient affectés au service de la reine Zylnyel et surveillés par ses Ombres. Le duc estima qu'envoyer ses otages vers le château de la reine du Pays des Ombres ne ferait que les éloigner encore plus de leur famille et il accéda bien volontiers à la demande d'Arethos.

   Une fois le mois, dans toute l'Ombrie, la lune prenait une couleur rouge, la couleur des cheveux de la reine. Lors de cette nuit, le château arrêtait sa course et descendait sur terre pour une période de six heures, de minuit à six heures le matin. Ce fut lors d'une de ces nuits rougeâtres qu'Arethos entra dans les appartements de Zylnyel accompagné de quatre jeunes gens, deux filles et deux garçons.

   Le sorcier dit à la reine :

   - J'espère que ceux-ci t'apporteront la compagnie que tu souhaites, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus ? 

   Zylnyel jeta un coup d'oeil sur les nouveaux venus. Plutôt satisfaite de sa rencontre avec les jeunes gens, elle répondit à Arethos : 

   - Et bien, ceux-ci me semblent parfaits, bien qu'un peu trop effrayés à mon goût. Et pourquoi sont-ils aussi sales, où les cachais-tu donc ?

   Sans répondre à la question posée, le sorcier esquissa un sourire forcé et dit :

   - Sache que le duc de Roncenoir tient à ces jeunes personnes comme à la prunelle de ses yeux. Tu devras toujours garder les tiens bien ouverts sur eux car ils ne sont pas si faciles à dompter, et c'est par expérience que je te parles !

   - Tu pourras rassurer le duc et tu lui diras que l'on ne s'évade pas du château de Zylnyel. En attendant, avec un bon bain et des vêtements appropriés, ces jeunes gens seront parfaits.

   La reine conduisit elle-même les otages dans une somptueuse pièce de marbre blanc aménagée de bains dans lesquels une eau douce et tiède coulait sans jamais s'arrêter.

   - Vous pouvez vous débarbouiller ici, dit-elle. Vous trouverez de propres vêtements de soie dans ces armoires murales. Choisissez vous-même, ils sont de toutes tailles, pour hommes comme pour femmes. Je reviendrai vous voir un peu plus tard, je ferai servir un dîner et nous pourrons faire plus ample connaissance.

   Un peu plus tard, elle rejoignait Arethos. Fixant le sorcier droit dans les yeux, la reine lui demanda :

   - Bien, parlons plus sérieusement maintenant. As-tu pu, comme je te l'avais demandé, récupérer les cendres de ton frère Maerwel dans son tombeau ?

   Le sorcier fit la grimace. Ce fut sur un ton agacé qu'il répondit :

   - Je vois que tu veux vraiment utiliser tes dons de nécromancienne et tu sais que je n'aime pas cela du tout !

   - Ces dons de nécromancie m'ont été conférés par Baal lui-même et n'en ai donc rien appris de toi. Si le dieu des Enfers m'a choisie plutôt que toi dans le but d'utiliser ces pouvoirs pour sa propre gloire, je n'y suis pour rien. Tu sais qu'il a une revanche à prendre sur la déesse Ellen qui a pardonné à ton frère et qui a rompu la malédiction que Baal avait jetée sur lui. Le dieu m'a demandé de ressusciter Maerwel pour vaincre la déesse une fois pour toutes. Si celle-ci perd ce combat, la prophétie concernant la princesse Edwyna disparaîtra à tout jamais du Grand Livre des Prophéties, la Tour Blanche et ses mages abhorrés seront envoyés dans les profondeurs de la Mer des Ténèbres et Baal fera de moi la reine de Meruvia.

   Le Sombrepeau écoutait parler la reine sans rien répondre. Dans son fort intérieur, il sentait une rage sourde monter en lui. Il se rendait compte qu'il n'avait été qu'un instrument du dieu des Enfers qui lui avait demandé de conduire le corps de son frère décédé dans le Tombeau Sacré des Landes Sombres. Maintenant, les fruits de son obéissance à ce dieu allaient être récoltés par cette sorcière d'Ombrie, elle qui n'avait jamais été que son élève. Il devait empêcher la résurrection de son frère...Comment ? Il ne le savait pas encore, mais lui Arethos, et il en était tout-à-fait certain, se mettrait en travers des travaux de Zylnyel.

   Ses pensées s'éloignèrent lorsqu'il entendit la sorcière poursuivre :

   - Et tu feras ce que Baal exige de toi au travers de ma voix... Il est bien entendu qu'aucune parole que je viens de t'adresser ici ne sera rapportée au duc de Roncenoir, ton maître ! Trompe-moi et j'enverrai mes Ombres qui te poursuivront n'importe où là où tu pourrais te cacher. Ils découperont ton corps à vif et jetteront ta tête et tes membres dans la Mer des Ténèbres qui sera ton tombeau éternel !

   - Tu vas te trouver au centre du combat des dieux, lui répondit le sorcier. Sache que tu en subiras les conséquences car les dieux utilisent les humains à leurs fins destructrices et ensuite ils s'en débarrassent dès qu'ils n'en n'ont plus besoin !

   Vers le matin, la tête basse mais remplie de désirs de vengeance, Arethos quitta le château de la Reine Rouge et s'en retourna à Roncenoir pour réfléchir à toutes les solutions qu'il pouvait envisager. En tout cas, il ne parlerait pas de sa conversation avec Zylnyel au duc, du moins pas tant que ce n'était pas nécessaire.

 

*   *   *

 

   Un matin, Manon s'éveilla tout-à-fait reposée. Sa fièvre qui durait depuis des jours avait disparu et lentement, elle sentait ses forces revenir en elle. Son visage avait repris quelques couleurs et elle avait réclamé à manger, ce qui étonna très fort Roswyn et Bertrand, mais fit danser de joie les deux jeunes gens.

   Les visites se firent nombreuses. Elisabeth et Aldebert furent les premiers à se rendre dans les appartements de leur amie, puis vinrent Ethiolas, le général Eudes et même le gouverneur Clodomir.

   Le médecin du gouverneur ne put expliquer une guérison aussi rapide, surtout dans ce contexte douloureux de la vie de Manon.

   Une nuit, alors qu'elle délirait dans un moment particulièrement fiévreux, elle vit le dieu Nélos en songe. Celui-ci lui apparut tout souriant et, rassurant, lui demanda de reprendre confiance. Même si cela allait sans doute mettre encore beaucoup de temps, le dieu assura Manon qu'elle reverrait ses enfants disparus et ce, de son vivant. Elle n'avoua ce rêve qu'à Roswyn et Bertrand, ce qui conforta les deux jeunes gens dans l'espoir de revoir en vie leurs chers frères et soeurs.

   Quelques jours plus tard, tout heureuse de la guérison de sa mère, Roswyn préparait ses affaires et prenait la direction du village des Sedes-odaï où elle était impatiente d'aller retrouver Elwyn.

   Ellawen, qui considérait maintenant Roswyn comme sa propre fille, la reçut les bras ouverts, Elwyn, quant-à-lui, étant parti à la chasse au gros gibier, accompagné de quelques guerriers de ses amis.

   De retour au village et apercevant son amie, l'Elfe la prit dans ses bras et la couvrit de baisers. Le soir, au dîner, Elwyn voulut tout savoir sur le voyage de Roswyn à Sirgonia et la jeune fille dû raconter tout ce qu'elle avait vu et tout ce qui s'était passé dans la grande ville de l'Ouest. Elle le fit cependant, en omettant intentionnellement de parler de sa rencontre avec le capitaine Aetius. Ellawen expliqua ensuite à Roswyn qu'elle avait reçu un message d'Aethelwyn annonçant son retour prochain, ce qui fit grand plaisir à la fille de Manon, elle avait toujours une pensée spéciale pour son bienfaiteur.

   La soirée se prolongea tard dans la nuit, tant chacun d'entre-eux avait de nombreuses nouvelles à raconter aux deux autres.

   Cette nuit-là, la jeune fille s'endormit dans les bras d'Elwyn. Jour après jour, une certaine paresse s'installa dans la vie des deux jeunes gens. Oubliant de plus en plus leurs obligations, ils ne pensaient plus qu'à flirter et ne quittaient pratiquement plus leur chambre que pour aller manger en compagnie de la druidesse. Ellawen dû se fâcher à plusieurs reprises pour rappeler leurs responsabilités à son fils et à Roswyn.

   - Vous devriez vous mettre en route au plus tôt pour poursuivre votre quête des bijoux de la déesse Ellen, leur disait-elle. Vous ne pouvez pas continuer à passer vos journées tel que vous le faites actuellement, la déesse vous désapprouve et pourrait jeter sur vous son courroux !

   Mais pour l'instant, rien n'y faisait. Ni les remontrances d'Ellawen ni les menaces d'ostracisme que proféraient les anciens du village ne venaient changer le mode de vie des deux amoureux.

 

 

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