Roswyn se concentrait. Debout, les bras le long du corps et face à une cible de bois se situant à dix pas environ, elle s'apprêtait à lancer ses couteaux pour la vingtième fois peut-être. Ceux-ci, de courts poignards elfes, logés dans une gaine placée de chaque côté de sa ceinture de cuir se révélaient être de redoutables armes pour un lanceur confirmé.

   Respirant une dernière fois profondément, elle releva rapidement ses mains et, se saisissant des couteaux avec une adresse consommée, les lança avec force droit devant elle. Après un court sifflement, ceux-ci, avec un bruit mat, se fichèrent en même temps au centre de la cible d'un mètre de diamètre environ.

   Quelques applaudissements nourris la firent se retourner. A quelques pas derrière elle, debout avec un large sourire aux lèvres, Elwyn la félicita chaleureusement.

   - Voilà plus de vingt fois d'affilée que tu réussis ce coup, lui dit-il. Maintenant, après l'arc long, te voilà également devenue experte dans l'art du lancer de couteau. Désormais je me sentirai en sécurité à tes côtés, ajouta-t-il en riant.

   - Tu exagères quelque peu, répondit la jeune fille, c'est moi qui me sentirai en sécurité auprès de toi, tu es maintenant un redoutable guerrier, un des meilleurs de la tribu.

   - En tout cas, répondit le jeune homme, toi et moi allons faire une excellente équipe, et ma mère ne tari plus d'éloges à ton égard.

   - Qu'Ellawen soit mille fois remerciée de m'avoir accueillie parmi vous, ajouta Roswyn. Voilà déjà un an que je suis ici et j'ai hâte de me lancer dans la recherche des artefacts de la déesse.

   En effet, cela faisait maintenant un an que le druide Aethelwyn avait amené la jeune fille dans la tribu des Sedes-odaï. Durant tout ce temps, Roswyn et Elwyn s'entraînèrent à parfaire de nombreuses disciplines dont faisaient principalement partie le tir à l'arc, le lancer du couteau et la course à pied. La jeune fille vivait heureuse chez les Elfes des bois, ici, dans la forêt des Blanpeaux, elle avait trouvé un nouveau mode de vie. Cette vie simple mais rude avait forgé son caractère et renforcé la confiance en ses propres capacités. Petit-à-petit, elle devint l'une d'entre-eux, aimée et acceptée par tous les membres de la tribu qui, en peu de temps la considérèrent comme une véritable Elfe.

   Quelque temps auparavant, Aethelwyn dû s'absenter. Il se rendit à Sybaris où de là, il prit un navire le conduisant à Cinaxa, la capitale de l'île de Phaéton. De là, il devait se rendre dans l'est de l'île où une importante réunion allait avoir lieu dans la Tour Blanche entre les plus grands mages de Meruvia et les druides les plus éclairés des tribus elfes. Expérimenté en magie blanche et en sorts de guérison, Le vieil Elfe ferait profiter ses amis humains de ses nombreuses connaissances tandis que ceux-ci devaient lui apprendre certains éléments se rapportant à la magie du feu.

   Avant de partir il avait rassuré Roswyn en lui affirmant qu'elle était prête, maintenant. Il ne doutait pas des capacités ni de la volonté de sa jeune protégée, la compagnie d'Elwyn devrait grandement l'aider à remplir ses quêtes malgré les énormes difficultés qui allaient certainement se présenter sur le chemin des deux jeunes gens.

   Elle se mit à penser à Bertrand. Il n'était venu la voir qu'une seule fois depuis qu'elle était réfugiée chez les Sedes-odaï. Sans doute était-il très occupé au sein de la garde de la ville d'Ethéria et elle se demandait quand allait-elle le revoir, maintenant que leurs destins paraissaient prendre des voies différentes.

   Se détachant lentement de ses pensées, Roswyn se tourna à nouveau vers son ami, il lui sembla qu'il venait de lui adresser la parole. En effet, le jeune Elfe lui tapotait gentiment l'épaule en disant :

   - Et bien, à quoi rêves-tu donc, ne m'as-tu point entendu ?

   - Excuse-moi, répondit Roswyn, rien d'important, mais tu disais ?

   - Tes souhaits sont exaucés, répondit Elwyn, demain matin nous partons pour les Landes Sombres mais aujourd'hui nous allons chasser le loup.

   - Chasser le loup, s'étonna la jeune fille, comment cela se fait-il ?

   - Oui, cette nuit un loup est venu tuer deux chèvres dans la réserve d'un de nos voisins et ma mère a demandé que nous puissions nous en occuper.

 

*   *   *

 

   Tout en se dirigeant vers le Nord, les deux jeunes gens suivaient un petit cours d'eau qui serpentait dans la forêt des Blanpeaux. Cette rivière, qui prenait sa source près du village des Maleel-aels, coulait paisiblement du Nord vers le Sud pour se jeter plus bas dans la Mer des Ténèbres. Située dans le prolongement oriental de l'Océan Phaétonique, la Mer des Ténèbres devait son nom en partie au sort qu'elle infligeait à tous les navires meruviens qui voulaient s'aventurer plus à l'est de l'île de Phaéton. En effet, tous les capitaines avides de curiosités et de découvertes de l'inconnu qui naviguèrent dans ses eaux ne purent jamais rejoindre les côtes de la grande île ou les côtes de Meruvia. Une légende qui parcourait le pays assurait qu'un maléfique dieu de la mer obscurcissait le ciel en envoyant un brouillard très épais et faisait chavirer les navires qui osaient s'aventurer dans ses territoires, noyant tous leurs occupants.   

   Le chemin que suivait Roswyn et son compagnon n'était pas par trop boisé, et la rivière qu'ils suivaient à contre-courant dans la direction du Nord, leur permettait de se rafraîchir de temps à autre, ce qui les protégeait d'un chaud soleil brûlant déjà haut dans le ciel. Elwyn, les yeux continuellement rivés au sol semblait suivre une piste, et, de temps en temps donnait quelques explications à Roswyn.

   - La bête est venue boire ici, dit-il à sa compagne, regarde, les traces s'arrêtent ici et reprennent vers l'est, mais c'est bizarre, d'après ces traces il n'y aurait pas un mais bien deux loups !

   Bifurquant vers la droite et s'éloignant de la rivière, les deux amis durent se frayer un chemin dans le bois épais qui maintenant les entourait. Cela faisait presqu'une heure qu'ils s'étaient enfoncés dans la forêt profonde et malheureusement ils avaient perdu la trace des loups.

   Mais bientôt, un hurlement prolongé se fit entendre, suivi d'un silence effrayant. Subitement, sur leur droite, des branches craquèrent et ils entendirent des bruits furtifs se rapprocher d'eux très rapidement. L'arc à la main les deux compagnons attendirent le choc. Un instant plus tard, deux loups géants aux crocs acérés se jetaient sur eux.

   Elwyn, voulant assurer ses appuis fit un pas de côté mais glissa sur de la mousse fraîche. Il s'étala sur le sol en poussant un petit cri et tâcha de se protéger de la main gauche tout en essayant de se saisir du poignard logé du côté droit de sa ceinture. Dirigeant aussitôt son arc vers le loup qui attaquait le jeune homme, Roswyn décocha sa flèche presqu'à bout portant vers la poitrine de la bête qui poussa un hurlement et s'affaissa sur le sol. Déjà le second loup qu'elle avait négligé pour venir au secours de son compagnon était sur elle et elle ne dut son salut qu'à une roulade effectuée rapidement ce qui empêcha la bête de la saisir à la gorge.

   Sans rien perdre de ses esprits, Elwyn s'était redressé d'un bond et saisissant les deux couteaux logés dans sa ceinture, les envoya se planter dans la gorge du second loup qui s'écroula aux pieds de Roswyn.     

   Les coudes et les mains écorchées, la peau arrachée par endroit et les vêtements quelque peu déchirés, les deux jeunes gens se regardèrent en grimaçant puis, l'instant d'après, partirent tous deux d'un grand éclat de rire.

 

   Dès qu'ils fûrent rentrés au village, Ellawen se chargea elle-même de prodiguer des soins à Roswyn et à son fils. Elle désinfecta les quelques plaies avec une décoction d'écorces macérées dans une huile légèrement parfumée. Par la suite, un large bol de lait de chèvre permit aux deux jeunes gens de passer une nuit paisible.

   Ils se reposèrent encore le lendemain toute la journée ainsi que la nuit suivante, attendant d'être complètement remis avant de s'aventurer vers les Landes Sombres. Le matin du départ, ils firent l'inventaire de ce qu'ils devaient emporter, chacun se munissant de leur arc, d'un carquois rempli de flèches, de deux poignards et d'un sac contenant un ou deux vêtements, d'une couverture ainsi que quelque provision d'eau. Pour la nourriture, ils chasseraient le gibier qu'ils rencontreraient.

   Après avoir reçu la bénédiction d'Ellawen, les deux jeunes gens lui firent leurs adieux et, prenant la direction de l'Ouest, ils traversèrent la clairière entourant le village et entrèrent dans la partie de la forêt qui les séparait des abords des Landes Sombres.

   Ce territoire, situé entre la partie Est de Meruvia et la forêt des Blanpeaux ne portait qu'imparfaitement son nom. En effet, si en de nombreux endroits on pouvait voir de grandes surfaces de fagnes , de nombreux marais au-dessus desquels flottait un brouillard persistant, recouvraient également son sol tandis que quelques collines de roches rouges et brunâtres s'élevaient ci et là. Le tout donnait une couleur plus ou moins sombre au paysage et l'on pouvait apercevoir en plusieurs endroits, des entrées d'anciennes mines de cuivre et d'argent aujourd'hui désertées. Ici et là se dressaient encore quelques temples ou autres bâtisses en ruines provenant d'une ancienne civilisation disparue et dont les lourdes portes de pierre, certaines entr'ouvertes, devaient sans doute mener en des endroits remplis d'inconnu et de dangers.

 

*   *   *

 

   La nuit tombait rapidement, de gros nuages sombres obscurcissaient le ciel, offrant à la lande un aspect des plus sinistres. De temps en temps, le croassement d'un corbeau venait rompre le silence presque terrifiant d'une large étendue terrestre où les voyageurs ne rencontraient que bois et souches mortes. A la chaleur torride de la journée avait succédé une nuit sans lune, froide, presque glaciale et un épais brouillard était tombé sur la lande, réduisant fortement la visibilité des lieux dans lesquels évoluaient les deux jeunes gens.

   Un frisson parcourut Roswyn. Elle serra très fort la main de son compagnon et lui dit :

   - Ne devrions-nous pas nous arrêter quelque part pour nous reposer et nous réchauffer ? Nous avons beaucoup marché depuis notre départ, je suis fatiguée et ce brouillard me transperce jusqu'aux os.

   Elwyn, qui scrutait l'horizon tant bien que mal depuis un certain temps déjà, désigna une large forme sombre dans le lointain.

   - Regarde, dit-il, je crois voir des ruines là-bas sur notre gauche, nous pourrions sans doute y trouver refuge, allumer un feu et faire cuire ce beau morceau de viande découpé dans l'antilope que nous avons tuée ce matin.

   Les deux jeunes gens se dirigèrent dans la direction indiquée par Elwyn et atteignirent une très vieille ruine qui, dans les temps anciens, avait dû être un temple bâti par le peuple des Nains.

   - Aethelwyn m'a dit que l'on rencontrait souvent ce genre de ruines sur tout le territoire de Meruvia, dit Roswyn à son compagnon, les Nains ont donc été présents partout dans le royaume ?

   - Cela remonte à l'ancienne ère, répondit Elwyn, bien avant l'établissement des humains sur le continent, ne vivaient ici que les Nains. A cette époque les Elfes étaient tous établis dans les Landes Sombres et dans la forêt des Blanpeaux mais nous n'avons pas participé aux guerres que menèrent les humains contre les autochtones. Les Nains qui survécurent furent refoulés vers le Nord et s'établirent dans la région actuelle qui se trouve à l'Ouest du pays des Orcs avec lesquels ils eurent également beaucoup de démêlés. Aujourd'hui, c'est un peuple en disparition, on n'en rencontre plus qu'une ou deux tribus dans leur territoire du Nord mais on peut quelquefois en voir quelques-uns à travers Meruvia qui se sont spécialisés pour la plupart d'entre eux dans le métier de forgeron.

   Roswyn se mit à trembler légèrement, le brouillard l'enveloppait complètement et elle sentait le froid envahir tout son corps.

   - Regarde, dit-elle à Elwyn, cette grosse pierre circulaire devant l'entrée des ruines, on dirait une porte. Nous devrions essayer d'entrer, la nuit est déjà tombée et je meurs de froid et de faim.

   - Effectivement, répondit Elwyn, j'espère trouver un mécanisme quelque part. Connaissant l'ingéniosité des Nains, cela doit s'ouvrir avec un levier quelconque, pour autant que ça marche encore...

   Le compagnon de Roswyn se mit à chercher tout autour de la porte et après un instant, il découvrit un mécanisme qui devait faire glisser la pierre. Saisissant un levier d'acier il se mit à tirer de toutes ses forces. Lentement, la porte roula le long du mur extérieur avec un grincement strident puis s'arrêta, laissant entrevoir une entrée circulaire débouchant sur une pièce sombre de laquelle n'émanait aucune lumière.

   - Reste à l'entrée, dit-il à Roswyn, je vais ramasser du bois dans les environs.

   Quelques moments plus tard, à l'intérieur de la pièce, brûlait un petit feu allumé par l'Elfe. La chaleur du brasier et la viande cuite sur la cendre eurent tôt fait de réchauffer la jeune fille et de lui rendre quelques forces.

   Curieux, Elwyn fit le tour de l'endroit. Les murs étaient dessinés de motifs défraîchis qui représentaient le plus souvent des anciens combats entre les différents peuples du continent, le tout parsemé d'écritures étranges auxquelles l'Elfe ne comprenait rien.

   Tout au bout de la pièce, enjambant quelques colonnes écroulées sur le sol, le compagnon de Roswyn s'arrêta devant un grand escalier de pierre qui s'enfonçait dans les profondeurs du temple. Tenant sa torche à bout de bras, il descendit quelques marches afin de voir où cela pouvait le conduire mais subitement, un bruit lointain lourd et résonnant qui semblait provenir des entrailles de la terre, l'arrêta net. Faisant rapidement demi-tour, il s'en alla rejoindre Roswyn mais quand il s'approcha d'elle, il vit que la jeune fille, une couverture la couvrant jusqu'aux épaules, dormait profondément.  

 

 

*   *   *

 

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