Quelques années après la bataille de la Vallée Obscure où s'entrechoquèrent les armées orques et meruviennes, plus loin à l'est, les Blanpeaux et leurs cousins Sombrepeaux se disputèrent la suprématie de la région des Landes Sombres et de la grande forêt orientale. A cette époque, les Sombrepeaux ou Elfes noirs occupaient la partie du royaume qui s'étendait depuis le lac de Naryth jusqu'aux frontières de la forêt blanpeau, ce qui comprenait l'est des Grandes Plaines et le territoire des Landes Sombres. Ces Sombrepeaux, lointains cousins des Elfes des bois, reconnaissables comme ceux-ci à leurs oreilles pointues, étaient des personnages à la peau plus foncée, d'où leur appellation d'Elfes noirs. Ils avaient en outre la particularité d'avoir les yeux de couleur rouge qui ressemblaient à des braises ardentes. Leur chef, un certain sorcier Maerwel voulut s'emparer des tribus blanpeaux pour étendre son influence vers l'est tandis que les Blanpeaux revendiquaient toute la contrée des Landes Sombres riches en mines de cuivre et d'argent. L'affrontement était devenu inévitable.

   Le Sombrepeau Maerwel renia la déesse elfe Ellen et se mit à adorer Baal, le dieu des Enfers, par ailleurs également vénéré dans certaines régions du royaume de Meruvia. Les prières de l'Elfe atteignirent Baal dans son royaume de feu et de lave. Il promit la gloire et l'immortalité à Maerwel à condition que celui-ci s'empare des attributs sacrés de la déesse Ellen, à savoir sa couronne, son anneau et son collier et à la seule condition qu'il les porte toujours sur lui et ne s'en sépare jamais.

   Une nuit, une petite troupe d'Elfes noirs atteignait le temple d' Ellen à Ismen-nethor. A cette époque seuls quelques druides occupaient les lieux et se consacraient au culte de la déesse. Maerwel et ses hommes furent impitoyables. Les prêtres d'Ellen furent massacrés sans pitié et les bijoux dérobés à la statue. Le chef-sorcier et sa petite troupe regagnèrent les Landes Sombres où était stationné le plus gros de l'armée. Les jours qui suivirent cet incident, quelques Blanpeaux voyageant vers l'est se rendirent compte de la profanation du temple et ils rapportèrent à leurs chefs que l'on avait vu une larme de sang perler aux yeux de la statue.

   Dans les jours qui suivirent, les bijoux en or d'Ellen que portait fièrement Maerwel attisèrent la convoitise de quelques-uns de ses hommes. Une nuit, à l'aide de deux complices qui étaient de garde devant la tente du chef sombrepeau et alors que celui-ci dormait à poings fermés, ils s'emparèrent du collier et de la couronne, l'anneau n'ayant pu être ôté du doigt qu'il ornait . Quittant alors le camp en grande hâte, les voleurs se rendirent à l'Ouest où ils revendirent les bijoux volés contre une somme importante à un marchand qui commerçait dans tout Meruvia jusqu'aux pays des Orques et des Gobelins.

   Pendant son sommeil, Maerwel vit Baal en songe. Celui-ci était furieux et criait à l'oreille de l'Elfe :

   - Je t'avais promis la gloire et l'immortalité tant que les artefacts d'Ellen seraient en ta possession et déjà, ceux-ci à peine acquis, tu te fais voler deux d'entre-eux. Désormais ma malédiction s'abattra sur toi et tes hommes. Chacun de tes soldats occis au combat sera transformé en squelette mort-vivant et errera jusqu'à la fin des temps dans les Landes Sombres à moins qu'il ne soit une seconde fois tué. Quant-à-toi, je te laisse l'anneau mais tu ne pourras plus jamais l'enlever de ton doigt, cela te rappellera ton erreur. A ta mort, je t'enterrerai dans une tombe s'ouvrant sur une caverne aux multiples dédales et je te ressusciterai pour que tu puisses régner à tout jamais sur les scorpions et les serpents. Sache en outre que c'est à ton frère Arethos que j'inculquerai des pouvoirs de sorcellerie et c'est sur lui que je reporterai les espoirs que j'avais fondés en toi.

   Maerwel s'éveilla brutalement, tout effrayé et complètement en sueur. Il regarda rapidement autour de lui puis, ne voyant pas ce qu'il cherchait, se mit à pousser un hurlement de rage qui fit rapidement accourir quelques guerriers pris de peur et d'inquiétude. Les deux premiers malheureux qui entrèrent dans la tente n'eurent pas le temps de placer un mot car le sorcier les transperça de son épée en vociférant :

   - Ah voleurs... Ah maudits... Où sont les bijoux d'Ellen ? 

   Tout étonné, Maerwel vit les deux Sombrepeaux se transformer en une poussière noire qui s'évanouit aussitôt devant ses yeux. Sortant de la tente en courant il hurla à nouveau :

   - Que l'on m'amène les responsables de la garde de cette nuit... Et rapidement.

   A cet instant, un soldat tout essoufflé accourut en s'écriant :

   - Maître, maître... Les Blanpeaux attaquent... Il sont tout proches du camp.

   La bataille des Landes Sombres commençait. Elle dura de nombreuses heures et fut un instant indécise. Chaque Sombrepeau tué se transformait immédiatement en une fine poussière volatile. Finalement, les arcs longs des Elfes des bois eurent raison des katanas des Elfes noirs et c'est en grande débandade que les quelques survivants Sombrepeaux s'enfuirent à travers la lande.

   Se battant avec rage et détermination, Maerwel finit cependant par s'écrouler criblé de flèches. Allongé sur le sol couvert de flaques de sang, il tendit une main rougeoyante vers les cieux et, entre deux râles, prononça les mots suivants :

   - Ellen... Ellen, pardonne-moi... Quant-à toi Baal, puisse ton enfer te détruire ainsi que tes maudits desseins.

   Le corps de Maerwel eut un autre soubresaut puis celui-ci rendit l'âme dans un dernier soupir.

   Cette nuit là, un être étrange habillé d'une longue cape noire, la tête couverte d'un capuchon qui masquait son visage, s'arrêtait près d'un corps allongé dans une boue sanglante, soulevait celui-ci et le déposait dans une charrette pour aussitôt reprendre son chemin vers une destination inconnue de la lande.

   Malgré la victoire des Blanpeaux et afin de les punir de leur négligence, Ellen sema la zizanie parmi les Elfes des bois et ceux-ci se séparèrent en trois tribus qui, continuellement se rejetèrent la faute de la disparition des artefacts de la déesse.

   Dans les mois qui suivirent, tous les Blanpeaux ou les Meruviens qui désirèrent s'installer dans les Landes Sombres à la recherche de mines de métaux précieux durent faire demi-tour car ils étaient sans cesse attaqués par des hordes de squelettes morts-vivants.

 

*   *   *

 

   Une bonne décennie plus tard, un petit groupe de trois cavaliers se présentait devant le château du duc Norbert dans son fief de Roncenoir. Une profonde tranchée de plusieurs mètres de large et dans laquelle stagnait une eau trouble séparait les voyageurs du pont-levis de la formidable bâtisse. L'un des cavaliers sortit un cor de son sac et se mit à en sonner.

   Perché derrière un créneau situé à une hauteur imposante de la muraille, un garde s'écria :

   - Qui va-là ? Annoncez-vous.

   Un petit homme aux oreilles pointues et aux yeux de braise lui répondit d'un air agacé :

   - C'est moi, Arethos, ne me reconnais-tu donc pas, imbécile ?

   Le pont-levis fut aussitôt abaissé et derrière lui, une large herse prestement relevée. Les voyageurs entrèrent dans la cour du château et se dirigèrent directement vers une petite dépendance où l'on allait prendre soin de leurs montures. Ignorant l'entrée principale des appartements ducaux , les trois hommes se présentèrent à l'arrière de ceux-ci et passèrent par une petite porte dérobée qui les amena dans une pièce d'apparence normale. Celle-ci ne possédait cependant aucune fenêtre et était très peu meublée. Arethos se dirigea vers une table dressée dans un coin de la pièce et poussa sur un bouton dissimulé derrière celle-ci. A l'opposé de la table, une large bibliothèque remplie de vieux grimoires se mit à glisser lourdement le long du mur en grinçant puis s'arrêta en laissant apparaître une ouverture dissimulée d'une largeur d'un mètre environ.

   - Par ici messires, minauda le Sombrepeau.

   Un étroit escalier de pierre descendait raidement le long d'un mur. Il sembla aux deux compagnons d'Arethos que celui-ci les conduisait vers les entrailles de la terre tant le chemin fut long.

   - Et bien sorcier, où nous conduis-tu donc, demanda un des deux personnages qui accompagnaient le petit homme ?

   Sans se presser, l'Elfe noir répondit :

   Patience, commandant Valère, vous et le capitaine Hubert ne serez pas déçus du spectacle que je vais vous offrir, vous allez vous rendre compte par vous-même du sort que réserve notre nouveau roi aux conspirateurs qui veulent déstabiliser le royaume.

   La descente se terminait maintenant, mais le chemin était loin d'être fini pour autant. Les voyageurs entrèrent dans une pièce où un dizaine de soldats discutaient bruyamment. Dès qu'ils virent les visiteurs ils se turent et saluèrent leurs supérieurs. Un des gardes décrocha une grosse clé d'un mur et ouvrit une lourde porte donnant sur une large grotte humide et peu éclairée. Aréthos expliqua à ses compagnons que le chemin souterrain quittait maintenant le château et que l'endroit vers lequel ils se dirigeaient se trouvait encore à deux cent mètres environ. Au bout de cette grotte, une seconde lourde porte de chêne gardée par deux soldats du duc barrait de nouveau la route aux voyageurs.

   Le commandant Valère semblait quelque peu agacé, il demanda au sorcier :

   - Ah ça, mais par le diable où nous emmènes-tu donc ?

   - Nous sommes arrivés, répondit Arethos en faisant un bref signe à l'un des deux gardes afin qu'il ouvre la porte.

   Le spectacle qui s'offrit alors à la vue des deux militaires les laissa complètement ébahis. Ils entrèrent dans une immense grotte dans laquelle s'élevaient de longues colonnades taillées à même le marbre. Une grande partie du sol était lui-même pavé de larges dalles de pierre ornées de motifs démoniaques. Ce qui frappa le plus les visiteurs se trouvait au centre de la grotte. Une immense statue du dieu Baal s'y dressait, majestueuse, toute taillée dans une pierre volcanique peinte en couleur d'or et sang. Le dieu était représenté cornu, les ailes grandes ouvertes et les bras élevés vers le ciel. Sa monstrueuse tête, penchée en arrière laissait entrevoir une bouche démesurée et toute ouverte, de laquelle sortaient de hautes flammes dansantes et virevoltantes. Une plate-forme de pierre était située juste un peu en dessous de la gueule du démon et l'on pouvait y accéder de chaque côté par un escalier monumental.

   Sur la plate-forme, un colosse d'au moins deux mètres, aux bras puissants et la tête complètement recouverte par une cagoule d'un rouge écarlate, se tenait droit, les bras croisés, dans l'attente d'un ordre quelconque.

   Le commandant Valère et le capitaine Hubert, bien que soldats rompus à toute vision d'horreur ou de misère produite par la guerre, ne purent s'empêcher de ressentir un frisson leur parcourir l'échine.

   - Nous avons arrêté des conspirateurs dans un village un peu plus au nord, leur dit alors Arethos, la justice du duc les a condamnés et maintenant le dieu réclame ses proies.

   Un peu en contrebas de la statue, en un endroit faiblement éclairé, se dressaient trois cages de fer dont deux d'entre-elles contenaient quatre prisonniers enchaînés, hommes et femmes mélangés. Le sorcier fit un geste aux gardes postés devant les cages et ceux-ci amenèrent un par un les prisonniers des deux premières geôles, gémissant et hurlant de peur. Sans aucun ménagement ils furent poussés sur la plate-forme où, se saisissant de chacun d'entre-eux et les soulevant à bout de bras, le colosse les jeta dans la bouche béante du dieu qui attendait ses offrandes.

   Une odeur nauséabonde de chair brûlée emplit l'air de la grotte. Deux gardes s'avancèrent alors vers la troisième cage de fer pour en extraire ses occupants quand Arethos s'écria :

   - Non... Pas ceux-là, je me les réserve... Je compte en faire de fidèles serviteurs de Baal.

   Dans la cage, serrés les uns contre les autres, quatre jeunes gens, presqu'encore des enfants pleuraient en silence. La plus jeune d'entre-eux, une fille d'environ quinze ans n'était autre que Gwendoline, le bébé dont Roswyn aimait tant à s'occuper chez Manon quand elle n'était elle-même, encore qu'un tout jeune enfant.

   Car en effet , ces quatre jeunes gens n'étaient autres que les frères et sœurs de Bertrand.

   S'adressant alors au commandant Valère et au capitaine Hubert, le sorcier leur dit :

   - Suivez-moi messires, vous allez rejoindre la surface par un chemin plus rapide que celui par lequel nous sommes venus.

   A l'autre bout de la grotte, Arethos pressa un bouton qui ouvrit un autre passage secret.

   - A partir d'ici, cet escalier vous conduira directement à l'air libre sans passer par l'une ou l'autre salle, dit-il aux deux officiers. Une fois là-haut vous arriverez directement à l'intérieur un petit abri caché parmi les rochers et où deux chevaux vous attendent.

   Arrivés à la surface, les deux hommes prirent immédiatement le chemin d'Ethéria, le capitaine Hubert, le sourire aux lèvres, semblait plutôt satisfait de ce qu'il avait vu dans la grotte de Baal tandis que son supérieur, le regard sombre et les traits tirés, se posait maintes questions sur le bien-fondé de l'exécution d'actes aussi barbares.

 

 

 

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