Roswyn, accompagnée de dame Liliane et de sa fille Blanche se promenait dans les magnifiques jardins du palais de Sirgonia. Les fleurs qu'elle pouvait y admirer étaient tellement belles, tellement différentes de celles que la jeune femme avait l'habitude de voir dans la région d'Ixos ! Elle s'arrêtait à chaque instant pour s'extasier sur telle ou telle variété très odorante ou dont les bouquets resplendissaient de multiples couleurs formant de magnifiques dessins géométriques.

   Lentement, Blanche s'était rapprochée de Roswyn et lui avait gentiment pris le bras pendant la promenade.

   - J'ai l'impression que ces jardins sont à votre goût, dit alors la fille du Gouverneur quelque peu apaisée par cette rencontre avec la sœur de Bertrand.

   - Oui, c'est magnifique, même si nous avons de jolies fleurs à Ixos, il est rare d'en rencontrer de telles dans nos jardins !

   Comme tout le monde, la fille de Manon s'était précédemment aperçue des larmes coulant sur les joues de la jeune Blanche mais n'osait pas aborder le sujet concernant les motifs à l'origine des pleurs de la fille de Liliane. Celle-ci, devinant que Roswyn devait néanmoins se poser quelques question, lui dit :

   - Vous plairait-il de nous accompagner chez la tante de mon époux, dame Irène, qui est une très bonne amie à moi et chez qui nous prendrons une petite collation ? 

   - Avec grand plaisir, je vous suis !

   Dame Irène reçut ses hôtes dans ses appartements situés en haut de l'aile gauche du palais. L'épouse du gouverneur présenta Roswyn, en provenance d'Ixos, et dont le frère Bertrand, officier de l'Alliance, était venu discuter affaires militaires avec son mari et le capitaine Aetius. Elle les fit asseoir dans de confortables divans et fit servir des fruits et des boissons.

   - Me permettrez-vous de vous faire goûter ce délicieux petit vin liquoreux dont s'approvisionne régulièrement le Palais, demanda la tante du gouverneur à Roswyn ? C'est un véritable nectar dont les raisins mûrissent dans les chaudes contrées de la région de Naxos en Phaéton !

   - Oui, je vous remercie, mais pas trop, je bois très peu d'alcool.

   Un instant plus tard, on en venait aux conversations plus sérieuses. 

   - Voilà, commença dame Liliane, s'adressant à Roswyn, si vous avez aperçu blanche dans un tel état tout-à-l'heure, c'est qu'il s'est créé un odieux marchandage concernant ma fille et que mon idiot de mari s'est prêté de bonnes grâces à une transaction des plus répugnantes.

   L'inquiétude se lut immédiatement sur le visage de la sœur de Bertrand et elle demanda :

   - Blanche... un marchandage... Je ne comprends pas ?!

   - Figurez-vous, poursuivit dame Liliane, que mon mari n'a rien trouvé de mieux que d'offrir ma fille en mariage au général Horace en échange de son allégeance à l'Alliance, et celui-ci vient d'accepter. Quand vous avez vue Blanche en pleurs dès votre arrivée c'est parce qu'elle venait d'apprendre que le mariage était décidé. De plus, le général est veuf et sexagénaire, ma Blanche venant seulement d'entrer dans ses dix-huit ans...

   - Ah... C'est donc décidé, s'exclama dame Irène ! Ce vieux goujat est donc arrivé à ses fins...Il a retardé expressément son entrée dans l'Alliance afin de mieux pouvoir obtenir ce qu'il désirait le plus, c'est-à-dire notre Blanche chérie. La manière dont je l'ai toujours vu regarder ma filleule m'a chaque fois dégoûtée au plus haut point, jamais je ne laisserai cet enfant entrer dans la maison du général !

   Blanche s'était remise à pleurer tandis que Roswyn lui prenait les mains et, complètement dépassée par cette situation, lui disait gentiment :

   - Voyons damoiselle Blanche, gardez espoir, votre mère et votre tante trouveront bien une solution à cette triste situation... Laissez-moi sécher vos larmes.

   C'est alors que dame Liliane, s'adressant à la tante du gouverneur , ajouta :

   - Et vous ne savez pas tout, Irène. Sachez que l'intransigeance de mon époux est totale et qu'il est décidé de faire enfermer Blanche chez les prêtresses du Temple d'Aziza jusqu'au jour de la célébration des noces ?!

   Dame Irène, l'air décidé, répondit :

   - Alors il est grand temps de ré-envisager l'option que nous avions étudiée avec le capitaine Aetius. Même si nous l'avions trouvée trop extrême il y a quelque temps, nous devons bien admettre aujourd'hui que c'est la seule solution qui empêchera ce mariage !

   Roswyn, sans essayer de comprendre ce qui se disait autour d'elle, essayait de réconforter comme elle le pouvait, la pauvre jeune fille qui maintenant avait relevé la tête et la suppliait du regard. La voix encore tremblante, la fille de dame Liliane balbutia :

   - Bertrand...  

   A ce nom, les deux femmes dévisagèrent Blanche.

   - Bertrand... Que veux-tu dire ?! 

   - C'est mon frère, répondit Roswyn à dame Irène. Nous nous sommes croisés avec Blanche et sa mère quand nous sommes arrivés ce matin. Et vu les regard que mon frère et Blanche se jetaient en se voyant pour la première fois, je crois que quelque chose de spécial s'est passé entre-eux !

   Dame Irène regarda Roswyn en souriant et lui répondit :

   - Cela ressemble très fort à ce qu'on appelle le coup-de-foudre, jeune fille. Mais je ne vois pas en quoi cela pourrait-il nous servir ?  

   Blanche prit alors la parole à son tour :

   - Bertrand... Je veux m'enfuir avec Bertrand quand il rentrera à Ixos !

   Roswyn et les deux femmes sursautèrent. Qu'était-ce encore que cette idée saugrenue qui avait germé dans l'esprit de la jeune fille ?!

   - Mais, répondit la fille de Manon, mon frère est ici en... mission diplomatique, et il a une grande responsabilité quant à la valeur des résultats qu'il obtiendra dans ses négociations...Il a la confiance entière du Gouverneur Clodomir d'Ixos et du général Eudes...Je ne pense pas qu'il compromettrait ainsi sa mission en créant d'irréversibles tensions entre nos deux villes. Je suis contre cette idée !

   - C'est à voir, répondit dame Irène, il me vient une autre idée dont je vais vous entretenir.

 

*   *   *

 

   Un peu plus tôt, Bertrand remettait sa lettre d'introduction auprès du gouverneur Theodorus. Celui-ci était en compagnie de son cousin, le conseiller Rupert.

   Après avoir brièvement parcouru la missive, le gouverneur la replia et la déposa sur un petit guéridon. Souriant, il dit à Bertrand :

   - Si l'on donne de telles responsabilités à un jeune homme de votre âge, faut-il que vous soyez un élément de grande valeur ! J'aurai grand plaisir à discuter avec vous.

   Le gouverneur fit servir des rafraîchissement ainsi que du vin rouge en attendant l'arrivée du capitaine Aetius.

   - Je viens de rencontrer une jeune fille en pleurs juste avant d'entrer dans le palais, dit Bertrand, très jolie d'ailleurs, es-ce...

   - C'est ma fille, coupa Theodorus, rien de grave, rassurez-vous. Mais ne nous laissons pas distraire par des affaires personnelles. Nous pouvons commencer les négociations... Mais où est donc passé le capitaine Aetius ?!

   A ce moment même, Aetius entrait dans la pièce sans se faire annoncer. Ayant probablement couru, il haletait et était rouge de colère. Il se dirigea droit vers Bertrand et , tout énervé, lui dit :

   - Je veux bien que votre garde du corps, fasse un peu d'exercice avec mes hommes, mais jusqu'à présent le bougre a déjà envoyé une bonne partie d'une compagnie à l'infirmerie... Demandez-lui, je vous prie, d'être un peu moins brutal dans les joutes ou je vais bientôt me retrouver sans hommes...

   - Oui, excusez-moi, répondit Bertrand. Il s'agit d'Enoch et il ne contrôle pas toujours sa force, je lui parlerai ce soir.

   Theodorus, irrité de tout ce contretemps, demanda que les négociations commencent sur le champ. Bientôt, les quatre hommes étaient en pleine discussion. Tout se passait sans problème, chacun convenant du nombre d'onagres, de mangonneaux et de tours de guerre à construire. Il fut même question d''envoyer dans chacune des deux villes, des officiers qui prendraient le commandement de certaines compagnies des armées alliées. L'entente était cordiale et l'Alliance du Nord semblait prendre un nouvel essor.      

   Soudainement, un serviteur annonça :

   - Le général Horace !

   Tous se regardèrent, l'air plus ou moins inquiet. Celui-ci entra rapidement dans la pièce. Toisant Bertrand du regard, il se dirigea vers le gouverneur et lui chuchota quelques mots à l'oreille. Theodorus semblait embarrassé, il regarda le frère de Roswyn et lui dit :

   - Oui.. Je... hem.. Enfin, le général Horace ici présent voudrait faire ajouter une clause très importante à ses yeux au traité final qui scellera l'Alliance et il...

   Le général coupa la parole au gouverneur :

   - Vous savez qu'il faudra un commandement général pour superviser l'ensemble de l'Alliance, dit-il à Bertrand. Dans ce cas il ne peut y avoir qu'un général en chef de l'Alliance du Nord. Je revendique le droit à ce poste !

   Un instant déstabilisé, Bertrand répondit néanmoins :

   - Je suis désolé, dit-il, je n'ai pas reçu d'instruction ni ai autorité pour traiter d'un tel sujet. Sachez cependant que le général Eudes, d'Ixos, aura très certainement un avis contraire au vôtre. Je pense qu'il faudra dès lors que les gouverneurs Theodorus et Clodomir se mettent d'accord sur ce point pour que le traité puisse être signé !

   Les discussions s'éternisaient en divers sujets et le capitaine Aetius, dont la sœur de Bertrand ne quittait pas son esprit, trouva une excuse pour pouvoir s'éclipser.

   Une fois à l'extérieur, Aetius, apercevant Roswyn qui quittait les appartements de dame Irène, s'avança prestement vers elle. Arrivé à sa hauteur, il s'arrêta et la salua respectueusement.

   - Ah... Damoiselle Roswyn, quelle merveilleuse et douce soirée avons-nous aujourd'hui.Il fait encore presqu'aussi chaud que cet après-midi ! Le temps invite à la marche et à la promenade. Que diriez-vous de m'accompagner dans un de nos délicieux parcs du haut de la la ville, nous pourrions nous asseoir dans un de ses confortables bancs et faire ainsi plus ample connaissance ?

   La sœur de Bertrand accepta l'invitation et les deux jeunes gens rejoignirent un magnifique parc où de nombreuses personnes, jeunes, vieux, parents, enfants, se promenaient dans un certain chahut et profitaient de cette avant-soirée très douce. Plus loin, assis sur quelques-uns des nombreux bancs du parc, des couples d'amoureux échangeaient de tendres baisers.

   Désignant un banc entouré de buissons de fleurs odorantes, le capitaine pria Roswyn de bien vouloir s'asseoir et quelques instants plus tard, Aetius et Roswyn échangeaient leurs premières impressions.

   La sœur de Bertrand prit le temps de bien dévisager son compagnon. Celui-ci était un grand et bel homme, aux cheveux couleur châtain-foncé qu'il portait mi-longs. Roswyn supposa qu'il devait approcher la trentaine. Ce fut un peu plus tard qu'elle apprit qu'il venait d'atteindre l'âge de vingt-huit ans.

   Vantant la beauté de la sœur de Bertrand et étant admiratif devant la noblesse de sa démarche, Aetius prit la main de Roswyn dans la sienne et, tout en parlant, doucement caressait son avant-bras sur lequel flottait un magnifique châle de soie brodée.

   Etait-ce la magie ou la douceur de cette soirée ? Toujours est-il que la sœur de Bertrand laissait le capitaine lui caresser les mains. Subjuguée par de tendres paroles que lui déclamait le capitaine, elle sentit son cœur battre très fort dans sa poitrine et elle s'aperçut à peine du baiser qu'Aetius déposa sur ses lèvres. Quelques instants enivrée, elle ne se débattit pas et ce ne fut qu'au bout d'un long baiser échangé qu'elle repoussa le capitaine sans aucune violence.

   - Aetius... Non... Je suis amoureuse d'un autre homme !

   Ce fut comme si le capitaine avait reçu un coup sur la tête mais très vite, il se reprit :

   - Oh... Roswyn, dit-il. Je vous aime depuis l'instant où je vous ai vue ce matin, et même si je dois en souffrir, sachez que je respecterai votre choix. J'espère seulement qu'un jour vous viendrez à moi.

   Se sentant coupable d'avoir permis un certain espoir au capitaine, la sœur de Bertrand se leva précipitamment et, les larmes aux yeux, courut en direction du palais du gouverneur.

   La jeune fille entra rapidement dans la chambre de son frère et lui raconta sa promenade avec le capitaine Aetius sans rien omettre. Roswyn fut étonnée d'entendre Bertrand lui répondre :

   - Il est promis à un bel avenir de général dans l'Alliance du Nord, et qui sait, à de plus hautes fonctions plus tard en Meruvia. Je ne vois pas pourquoi tu sembles si effarouchée ?!

   Cependant, Roswyn pensait à Elwyn et elle se sentait terriblement coupable de s'être laissée embrasser par quelqu'un d'autre que lui.

   Bertrand, quant-à-lui, apprit une mauvaise nouvelle à sa sœur. Avant qu'il ne quitte les appartements du gouverneur il eut connaissance que la jeune Blanche serait envoyée d'ici deux jours au temple d'Aziza, en attendant les cérémonies du mariage avec le général Hubert.

   - Oui, mais tu ne sais pas tout, répondit Roswyn. La petite Blanche qui s'est amourachée de toi s'est mise en tête que tu allais l'enlever et qu'elle fuirait avec toi à Ixos !

   Le teint de Bertrand devint blême.

   - Je ne la laisserai pas épouser le général Horace, s'écria Bertrand, je vais accéder à ses désirs et l'emmener à Ixos !

   - Tu es fou, répondit Roswyn. Et les résultats de tes négociations avec Sirgonia, y penses-tu ? Tout cela va tomber à l'eau et quelles en seront les conséquences pour l'Alliance ? Et ta propre crédibilité auprès du général Eudes et du gouverneur Clodomir, y penses-tu ?! Es-tu prêt à tout sacrifier pour une jeune fille et risquer une guerre entre Sirgonia et Ixos ?! Je ne pense pas non ! Tout cela, ce n'est pas ta sœur Roswyn mais bien la Princesse Edwyna, qui te l'interdit !

   - Demain matin, ajouta la jeune femme, dame Irène, la tante du gouverneur nous apportera la solution à ce problème, elle me l'a assurée avant que je ne la quitte.

    Cette nuit-là, ni le frère ni la sœur ne trouvèrent le sommeil.

    Le lendemain matin, la solution était en effet apportée aux enfants de Manon. Blanche serait cachée à l'Auberge de l'Auroch, là où se rassemblaient les premiers responsables de l'Alliance au moment où ils débattaient encore de sa création. Le tenancier, un certain Gauvin, prendrait soin d'elle en échange de quelques pièces d'or.

   Le même jour, la jeune Blanche, une suivante l'accompagnant, était amenée de nuit à l'auberge, passant par une des deux portes arrière. Le capitaine Aetius donna ordre à Gauvin de ne permettre à Blanche de sortir en aucune façon. Lui-même déciderait du moment où la jeune fille pourrait quitter l'établissement.

   Les larmes aux yeux, Blanche se jeta dans les bras de Bertrand, le serrant très fort et répétait sans cesse :

   - Oh...Merci, merci mon Bertrand... Mais de grâce, ne m'oublies pas ici, je veux être auprès de toi et pour toujours !

   Le frère de Roswyn embrassa fougueusement la jeune fille et lui répondit :

   - Je reviendrai, douce Blanche, je reviendrai. Et ce jour là ce sera pour t'emmener !

   Bertrand aurait voulu laisser Enoch à la taverne pour veiller à la sécurité de Blanche. Mais, connaissant la façon extravertie dont s'exhibait généralement le géant, celui-ci aurait pu facilement se faire reconnaître, donc il confia plutôt cette tâche au soldat Alberic.

   Le lendemain matin, le gouverneur Theodorus et le général Horace, encore fous-furieux de la disparition de Blanche, faisaient leurs adieux à Roswyn et Bertrand, tandis qu'un peu plus en retrait, dame Irène et dame Liliane se gaussaient de la situation.

   Le capitaine Aetius rejoignit ensuite Roswyn et, prenant ses deux mains dans les siennes, lui dit :

   - Damoiselle Roswyn, je vous ai avoué tout l'amour que j'éprouvais à votre égard. Sachez que toujours, je garderai espoir, j'aimerais vous revoir très vite...

   D'un air triste, la sœur de Bertrand répondit :

   - C'est la déesse Aziza qui en décidera... En attendant, prenez soin de vous, mon ami.

 

 

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