Khal-maresh était en fête. Gurlek avait tenu la promesse qu'il avait faite à Braniek en le débarrassant des trois chefs de tribus qui ne voulaient pas que le commandant accède au titre suprême de roi de toutes les régions et villages d'Orcie. L'opération avait été relativement simple à effectuer. Invités dans la capitale par Gurlek lui-même, les trois Orques, qui voyageaient de concert, tombèrent dans un guet-apens à environ une journée de marche au nord de Khal-maresh. Des indices ayant été laissés sur place, et indiquant que les trois chefs avaient été attaqués par des brigands, satisfirent le conseil des tribus qui avait été mis au fait de l'attaque. Braniek lui-même fit clore les débats sur cette affaire tout en regrettant la perte d'Orques aussi valeureux puis fit procéder au vote qui allait enfin lui permettre d'accéder à la royauté. En récompense à ses loyaux services, Gurlek se vit offrir la main d'Oumma, la jeune soeur du nouveau roi, et il fût décidé que le mariage se ferait immédiatement, le shaman Turok procéderait lui-même à la cérémonie qui devait être grandiose.

   Un peu partout dans la cité, les habitations avaient été décorées pour l'occasion. Des peaux de loups, de chiens sauvages et de smilodons avaient été sorties et habillaient les devantures des maisons des habitants de Khal-maresh. Venus de toutes les régions d'Orcie, de nombreux voyageurs se rendaient dans la capitale afin de pouvoir assister à la cérémonie qui devait avoir lieu à l'extérieur, dans une immense construction de bois, ouverte sur les cotés mais protégée par un toit à forte pente.

   En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, l'auberge de l'Ours fut remplie et dû refuser de nombreuses demandes de nuitées d'un jour. Les plus chanceux des voyageurs dormiraient chez des connaissances ou chez des amis mais la plupart d'entre eux devraient se contenter de la paille des granges à bestiaux et pour certains même, d'abris hâtivement formés de peaux d'animaux le long des habitations et autres bâtiments en bois.

   Le jour précédant le mariage, tôt le matin, Braniek était venu rendre visite à sa demi-soeur afin de s'entretenir avec elle. Il l'avait trouvée peu loquace, pensive et presque absente de tous les remue-ménages qui se déroulaient autour de sa personne. Le nouveau roi l'enlaça fraternellement et lui dit :

   - On dirait que ton mariage te laisse totalement indifférente, que se passe-t-il, Gurlek t'aurait-il offensée d'une manière quelconque ?

   Un léger sourire était apparu sur les lèvres d'Oumma. Elle répondit :

   - Pas du tout, mais comme je te l'avais annoncé auparavant, je suis encore et toujours à la recherche du traître qui a provoqué ton empoisonnement et je n'aurai de repos qu'après te l'avoir amené pieds et poings liés.

   Braniek éclata de rire.

   - Oublie cela quelques jours veux-tu ? Il s'agit de te concentrer sur ton mariage maintenant. Que dirait ton futur époux s'il te voyait aussi distante des réjouissances que la cité organise en votre honneur ?

   - Pardonne-moi mon frère, tu as raison. Il y a quelque temps encore je repoussais toutes les avances de Gurlek puis, petit à petit, j'ai appris à mieux le connaître pour enfin accepter de devenir son épouse. J'espère trouver le bonheur à ses côtés et ensemble, nous serons tes plus fidèles et loyaux sujets.

   - Eh bien voilà qui est parlé, ma soeur ! Tu connais tous les services que vient de me rendre ton futur mari et je lui en suis reconnaissant. Je le sais heureux de pouvoir t'épouser et je sais maintenant que je vais pouvoir réellement compter sur lui pour mes futurs projets.

   Etonnée, Oumma demanda :

   - Tes futurs projets ? Jusqu'ici tu ne m'as parlé d'aucun projet, et qu'as-tu donc en tête ?

   Sans répondre à sa soeur, Braniek la fixait en souriant :

   - Je t'en prie mon frère, ne me fais pas languir !

   Finalement, le roi lui dit :

   - Plus tard Oumma, plus tard. Pour l'instant, nous nous occupons de ton mariage, dans quelque temps je t'expliquerai tout.

   Laissant sa soeur sur sa faim, Braniek prit congé d'elle et rentra chez lui. En début d'après-midi, les trois femmes du roi vinrent aider Oumma dans ses derniers préparatifs.

   Le lendemain, peu avant midi, les invités et une partie des habitants de Khal-maresh, se rendirent à l'intérieur de la construction spécialement élevée pour la cérémonie qu'allait présider le roi accompagné du shaman Turok. Bientôt la place fut remplie et les curieux attendaient impatiemment l'arrivée de la soeur du roi. Celle-ci se fit un peu attendre. La populace ne discutait que de l'événement du jour et de l'accession à la royauté de leur commandant en chef. Parmi la foule plutôt acquise à Braniek, se mêlait cependant çà et là quelques mécontents qui estimaient que tout ce nouveau pouvoir concentré entre les mains d'un seul individu pouvait devenir dangereux pour la semi-indépendance des tribus et était de toute façon contraire aux traditions plus que centenaires que les Orques avaient développées sur leurs terres.

   Bientôt, des cris de joie se firent entendre dans la place. En effet, le roi, sa soeur et sa suite, venaient d'arriver. Tous n'avaient d'yeux que pour Oumma. Elle était vêtue d'une longue robe de coton, simple mais très colorée et, sur sa tête, une couronne de fleurs blanches avait été posée. La jeune Orque était accompagnée de son futur époux, Gurlek, qui la tenait par la main. Tous deux avançaient vers un gigantesque trône en bois sur lequel venait de prendre place le roi, le shaman Turok se tenant debout à ses côtés.

   Parmi la foule, un jeune guerrier Orque d'environ vingt-cinq ans et accompagné de sa mère, regardait Oumma avec une lueur de tristesse dans les yeux. Il se nommait Uruk et était entré, environ cinq ans plus tôt, au service de Braniek à l'époque où celui-ci n'était encore que le commandant de la garnison de Khal-maresh. Maintes fois il avait eu à rencontrer la jeune soeur du commandant et chaque fois qu'il s'était approché d'elle, il avait senti son coeur battre plus fort et plus vite. Oui, il était tombé amoureux d'Oumma mais cependant il ne lui avait jamais avoué son amour, qu'était-il donc pour oser prétendre à la main de la soeur du chef ? Un simple guerrier sans ressources ni avoir, lui qui avait à s'occuper de sa mère, toujours souffrante depuis la mort d'un père qu'il avait à peine connu.

   Gorsha, la mère d'Uruk, compatissante à la tristesse de son fils, leva les yeux vers lui et lui dit :

   - Je vois que tu l'aimes toujours et que ça te fait beaucoup souffrir... Je t'avais pourtant bien fait comprendre que ton amour pour la soeur du roi ne serait jamais qu'un amour à sens unique, nous ne sommes rien pour eux. Elle t'a toujours ignoré et aujourd'hui elle se marie. Je ne voudrais pas te faire plus de mal mais tes espoirs désormais s'envolent ce jour, viens, rentrons, nous n'avons rien à faire ici.

   Le jeune Orque n'avait cependant pas envie de quitter la cérémonie en cet instant. Il engagea sa mère à rentrer seule dans leur petite demeure, il la rejoindrait plus tard. Il pensa :

   Non mère, jamais je n'abandonnerai. Je ne sais pas encore ni quand ni comment, mais par Kalush, Oumma viendra à moi.

   Des cris et des applaudissements provenant de la foule ramenèrent Uruk sur terre. La soeur du roi et Gurlek venaient chacun d'accepter l'autre pour époux et le shaman Turok, selon la coutume orque, élevant les bras vers les cieux, invoquait le dieu Kalush afin que celui-ci veuille bien étende sa bienveillance sur le nouveau couple. A ce moment, Uruk remarqua un comportement étrange. La soeur du roi ne manifestait pas sa joie comme l'aurait fait habituellement toute nouvelle mariée, mais semblait plutôt distante, comme si cette cérémonie ne la concernait pas ? Si Gurlek, tout sourire, ne semblait s'aperçevoir de rien, le roi par contre, observait sa soeur avec insistance. Le fils de Gorsha se mit à penser qu'un mystère devait planer sur le couple. Il se résolut à découvrir lequel.

   Les festivités se poursuivirent toute la journée, Braniek régalait le peuple de Khal-maresh.Des dizaines de cochons sauvages ainsi que de grandes quantités de perdreaux et d'oies avaient été chassés et cuits à la broche pour l'occasion. Ca et là, une cinquantaine de cuisiniers, serviteurs et autre personnel de corvée, s'affairaient à satisfaire la populace. Celle-ci criait, mangeait et buvait de la bière agrémentée de miel tandis que certains Orques préféraient un vin aigre qu'ils buvaient goulûment en essuyant leur bouche du revers de leurs bras.

   A la nuit tombante, Oumma et Gurlek se dirigèrent vers la demeure de cette dernière, la soeur du roi ayant exigé que ce serait là le lieu de résidence du couple. Le vin aidant, Oumma était devenue plus joyeuse. Gurlek et elle, ne marchant plus très droit, se tenaient l'un l'autre afin de ne pas tomber et plaisantaient en riant très fort et en rotant tout au long du parcours qui les ramenait chez eux. Tandis qu'il maintenait son épouse tout en titubant lui-même légèrement, le second de Braniek lorgnait avec insistance sur les rondeurs et les formes généreuses de sa jeune épouse.

   A ce moment, ni l'un ni l'autre se s'aperçurent qu'ils étaient suivis. En effet, à bonne distance derrière eux, Uruk, le fils de Gorsha, les accompagnait, tout en se fondant de temps à autre dans l'ombre d'une chaumière ou d'un baraquement.

 

*   *   *

 

   A Ixos, on venait d'apprendre la disparition d'Eleonor. Elle aurait dû être rentrée depuis deux jours déjà et malgré les recherches effectuées dans les environs de la cité, la jeune femme ne fut aperçue nulle part. Bertrand et Enoch, accompagnés par une petite troupe de cavaliers, avaient poussés leurs montures une dizaine de lieues dans la direction de la forêt des Blanpeaux tandis qu'Aldebert et Ethiolas avaient pris la direction du sud, rejoignant les Grandes Plaines de l'est. Ils ne furent pas plus heureux que Bertrand et Enoch car eux non plus, ne recueillirent aucun indice qui aurait permis de supposer qu'Eleonor aurait pris cette direction pour rentrer à Ixos.

   Le soir, tous se retrouvèrent dans les appartements de Manon, bredouilles et inquiets de cette mystérieuse disparition. Le général Eudes, le gouverneur Clodomir ainsi que Cédric qui n'avait pas encore quitté Ixos, étaient également présents. Bertrand était fou-furieux.

   - C'est Elmadj, dit-il, c'est ce chien de phaétonien qui aura enlevé Eleonor...La jeune elfe à qui elle avait sauvé la vie m'avait bien dit que ce misérable allait venir à Ixos pour essayer de l'enlever ! C'est ma faute, nous aurions dû mettre immédiatement la main sur ce maudit Elmadj quand nous nous sommes mis à sa recherche.

   Enoch essaya de calmer le fils de Manon.

   - Voyons sergent, vous savez bien que nous avons retourné la cité entière et tous ses environs pour essayer de découvrir où ce misérable se cachait. Malgré cela, nous n'avons pu le retrouver. Ce n'est pas votre faute, nous avons fait notre possible et…

   Bertrand coupa net la parole à son subordonné.

   - Tais-toi Enoch, si nous avions fait notre possible, Eleonor serait maintenant ici près de nous, mais au lieu de cela...

   Manon et Elisabeth se mirent à se lamenter.

   - Par tous les dieux, gémit la mère de Bertrand, Roswyn prisonnière à Oznak-dûl, et maintenant Eleonor enlevée et conduite on ne sait où ? Que Nelos et Aziza prennent pitié de nous, qu'allons-nous devenir ?

   C'est à ce moment que Eudes pris la parole.

   - Ne vous laissez pas aller au désespoir, dit-il. Nous avons certes deux situations difficiles, sinon compliquées, mais nous allons les traiter en même temps et nous ramènerons ces deux jeunes femmes ici à Ixos, gardez espoir.

   La voix tremblante, Bertrand demanda :

   - Et comment allons-nous procéder, général ?

   Ce fut le gouverneur qui répondit.

   - Excusez-moi général, j'ai une autre information concernant Roswyn. Les deux mille cinq cents pièces d'or réclamées par le shaman gobelin ne devront pas être envoyées directement à Oznak-dûl, mais devront être remises à un certain Damianos, banquier et prêteur sur gages à Rochegrise.

   Pensif, le vieux soldat répondit :

   - Etrange, en effet. Que vient donc faire ce banquier dans cette transaction ?

   - Je n'en ai aucune idée, répondit Clodomir, il n'entre pas dans les habitudes de ces sauvages d'utiliser ce genre d'intermédiaire ?

   - Cela me laisse à penser que ce shaman doit agir de sa propre initiative, dit Aldebert. Je présume que le roi gobelin ne doit pas être au fait de ses petites manigances.

   - Tu dois avoir raison Aldebert, acquiesça le général. Je vais me renseigner auprès du gouverneur Renaud à Rochegrise. Ce banquier Damianos, agissant comme intermédiaire auprès des Gobelins me paraît avoir des activités louches. En tout cas, il sera surveillé de prêt, avez-vous déjà rassemblé le montant de la transaction, Clodomir ?

   - Tout est prêt, il ne manque plus que qui désigner à envoyer à Rochegrise.

   - Je vais faire prévenir ce banquier que l'or va lui être remis, en attendant, j'en aurai certainement assez appris sur ses manigances. Aldebert et Ethiolas pourront, s'ils le désirent se charger eux-mêmes du transport de la rançon vers les collines. Ils seront bien entendus accompagnés d'une importante escorte, je ne voudrais pas que des voleurs de grand chemin s'emparent du coffre.

   - Et bien voilà qui est dit, répondit Ethiolas, Aldebert et moi prendront donc la direction de Rochegrise quand vous l'aurez décidé, général.

   Bertrand, qui écoutait attentivement les différents intervenants, dit alors :

   - Et Eleonor... Que fait-on pour Eleonor ?

   Outrée, Manon répondit à son fils sur un ton acerbe :

   - C'est de ta sœur dont nous parlons pour l'instant... Ta soeur... La reine de Meruvia !

   Bertrand reçut ces paroles comme une gifle, aussi répondit-il sur un ton conciliant :

   - Pardonnez-moi mère. Bien entendu, Roswyn nous manque à tous, je ne voulais pas...

   Le général Eudes lui coupa la parole :

   - Je viens de dire que nous allons nous occuper de ces deux disparitions en même temps, ne t'inquiètes donc pas.

   Bertrand lui répondit :

   - Oui, général. A ce propos je voudrais vous demander une faveur. Permettez-moi de me rendre à Cinaxa pour essayer de retrouver Eleonor, il est plus que probable que le brigand Elmadj aura remis celle-ci à son père. Je ne voudrais pas qu'il lui arrive un malheur quelconque.

   Eudes réfléchissait.

   - Oui, dit-il après un court instant, je suppose que ton mariage avec Blanche de Sirgonia ne se fera pas avant le retour de Roswyn parmi nous. D'autre part, je me sens responsable de la disparition de la jeune Eleonor. Cette fille est d'un courage et d'une volonté extraordinaires mais je n'aurais jamais dû accepter qu'elle parte seule dans la tribu des Sedes-odaï.

   - Ce n'est pas votre faute, général, lui répondit Aldebert. A ce moment, nous ne savions pas encore que le brigand Elmadj traînait du côté d'Ixos.

   Eudes paraissait réellement en proie à un vif chagrin. En effet, quand Bertrand avait amené Eleonor à Ixos et qu'il avait appris toutes les difficultés que la jeune femme avait eues à surmonter auparavant, le général avait été émerveillé par le courage qu'avait démontré cette dernière. Dès lors il lui avait proposé de venir rester chez lui, lui qui maintenant était seul depuis la mort de son épouse. Eudes avait considéré l'amie de Bertrand comme sa propre fille et lui avait donné un poste au sein de l'Alliance du Nord. Maintenant il craignait pour l'intégrité physique, la vie même, de la jeune femme. C'est pourquoi il dit à Bertrand :

   - Et bien soit, tu iras donc aux nouvelles du côté de Cinaxa. Je veux cependant qu'Enoch t'accompagne, je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur également.

   - Cédric, qui jusqu'à présent n'avait pas encore pris la parole mais écoutait les uns et les autres attentivement, dit :

   - Il est dommage que je doive à nouveau partir pour Khal-maresh, mais il me faut retrouver mon frère et mes soeurs afin de les faire libérer. Mère n'a que trop attendu le retour de tous ses enfants et je sais qu'elle attend ce jour avec impatience. Plus tard, si vous avez besoin d'aide, je me porte volontiers volontaire pour aider à retrouver l'amie de Bertrand ou pour toute autre mission que vous désireriez me confier. Mais j'espère seulement qu'Eleonor sera déjà rentrée saine et sauve à Ixos à ce moment.

   Bertrand s'avança vers Cedric et, le prenant dans ses bras dans une effusion fraternelle, lui dit :

   - Grand merci mon frère, je n'en attendais pas moins de toi. Mais comme tu viens de le dire toi-même, il t'incombe maintenant de ramener notre frère et nos soeurs à Ixos, nous n'avons que depuis trop longtemps étés séparés.

   Des larmes coulèrent sur les visages de Manon et Elisabeth, mais cette fois c'était la joie et l'espoir qui les faisait pleurer.

 

 

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